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Le Conseil d’État restreint la possibilité de se prévaloir de l’interprétation illégale d’une règle

Public - Droit public général
18/10/2022
Par un avis du 14 octobre 2022 à publier au recueil Lebon, le Conseil d’État a confirmé la restriction de la possibilité de se prévaloir de l’interprétation, même illégale, d’une règle contenue dans un document. L’usager ne peut bénéficier de cette garantie que si certaines conditions sont remplies.
Dans un avis du 14 octobre 2022 à publier au recueil Lebon (CE, avis, 14 oct. 2022, n° 462784), le Conseil d’État est venu confirmer la restriction de la possibilité de se prévaloir de l’interprétation même illégale d’une règle contenue dans un document. L’usager ne peut bénéficier de cette garantie qu’à certaines conditions :
  • que l'application d'une telle interprétation de la règle n'affecte pas la situation de tiers ;
  • qu'elle ne fasse pas obstacle à la mise en œuvre des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement.
Interprétation d'une règle, même erronnée

Le Conseil répondait à des questions posées par la cour administrative d’appel de Lyon portant sur l’interprétation des articles L. 312-2 et L. 312-3 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA).
 
CRPA, art. L. 312-2 : « Font l'objet d'une publication les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives. Les instructions et circulaires sont réputées abrogées si elles n'ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret (…) »
CRPA, art. L. 312-3 : « Toute personne peut se prévaloir des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l'article L. 312-2, émanant des administrations centrales et déconcentrées de l'Etat et publiés sur des sites internet désignés par décret. / Toute personne peut se prévaloir de l'interprétation d'une règle, même erronée, opérée par ces documents pour son application à une situation qui n'affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n'a pas été modifiée. / Les dispositions du présent article ne peuvent pas faire obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement. »

Le Conseil d’État annonce dans son avis que « les dispositions de l'article L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA) instituent une garantie au profit de l'usager en vertu de laquelle toute personne qui l'invoque est fondée à se prévaloir, à condition d'en respecter les termes, de l'interprétation, même illégale, d'une règle contenue dans un document que son auteur a souhaité rendre opposable, en le publiant dans les conditions prévues aux articles R. 312-10 et D. 312-11 [du CRPA], tant qu'elle n'a pas été modifiée ».
 
Il ajoute qu’ « en outre, l'usager ne peut bénéficier de cette garantie qu'à la condition que l'application d'une telle interprétation de la règle n'affecte pas la situation de tiers et qu'elle ne fasse pas obstacle à la mise en œuvre des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement. Les mentions accompagnant la publication de ce document ont pour objet de permettre de s'assurer du caractère opposable de l'interprétation qu'il contient ».

Invocabilité d'une circulaire contenant des orientations générales
 
La cour administrative d’appel demandait notamment si les dispositions de l’article L. 312-3 du Code des relations entre le public et l'administration, issues de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, avaient pour effet de modifier la jurisprudence « Cortes-Ortiz » du 4 février 2015 (CE, sect., 4 févr. 2015, n° 383267, Lebon) et de rendre invocable une circulaire contenant des orientations générales. La question portait en l’espèce sur la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
 
Sur cette jurisprudence, le Conseil rappelle qu’une personne pouvant prétendre à un avantage prévu par un texte peut se prévaloir de lignes directrices publiées « permettant de déterminer à qui l’attribuer parmi ceux qui sont en droit d’y prétendre ». En revanche, rappelle le Conseil, il en va différemment lorsque l’intéressé ne peut faire valoir aucun droit.

Ainsi, il déclare dans son avis du 14 octobre que le législateur n’a pas permis aux citoyens « de se prévaloir d'orientations générales dès lors que celles-ci sont définies pour l'octroi d'une mesure de faveur au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit, alors même qu'elles ont été publiées sur l'un des sites mentionnés à l'article D. 312-11 du même code ». Il ajoute, « s'agissant des lignes directrices, le législateur n'a pas subordonné à leur publication sur l'un de ces sites la possibilité pour toute personne de s'en prévaloir, à l'appui d'un recours formé devant le juge administratif ».

Absence de droit à l'exercice par le préfet de son pouvoir de régularisation
 
Sur l’invocabilité de la circulaire du 28 novembre 2012, la Cour administrative d’appel de Lyon demandait :  
  • dans l’hypothèse où elle serait invocable, « un ressortissant étranger qui n'a pas exécuté une ou plusieurs précédente(s) mesure(s) d'éloignement, entre-t-il dans les prévisions de la circulaire ? »
  • dans l'hypothèse où elle ne le serait pas « le moyen tiré de la méconnaissance de la circulaire est-il inopérant ou bien reste-t-il toujours opérant (…) ? »
Le Conseil répond dans son avis que « dès lors qu'un étranger ne détient aucun droit à l'exercice par le préfet de son pouvoir de régularisation, il ne peut utilement se prévaloir, sur le fondement de ces dispositions, des orientations générales contenues dans la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 pour l'exercice de ce pouvoir ».

 
Source : Actualités du droit