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Obligation in solidum pour un dommage causé par une personne privée et une personne publique

Public - Droit public général
31/01/2023
Dans un avis rendu le 20 janvier 2023, le Conseil d’État a déclaré qu’en cas de dommage causé à la fois par la faute d’une personne privée et celle d’une personne publique « et qui portaient chacune en elle normalement ce dommage », le juge pouvait condamner la personne publique à réparer l’intégralité du préjudice, cette personne publique pouvant ensuite former une action récursoire. La Haute cour étend ainsi la portée d’une jurisprudence du 2 juillet 2010 publiée au Recueil qui concernait un dommage causé par plusieurs personnes publiques.
 
Le Conseil d’État était saisi par le tribunal administratif d’Amiens d’une demande d’avis portant sur le partage de responsabilité en cas de dommage trouvant son origine à la fois dans une faute d’une personne privée et une faute d’une personne publique, « qui portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites ». La question était de savoir, dans le cas où la victime saisit le juge de conclusions se fondant sur un partage de responsabilité, si le juge administratif :
  • peut déterminer la part de responsabilité incombant à la personne publique
  • ou doit écarter le partage de responsabilité et condamner la personne publique à réparer l’intégralité du dommage dans la limite de la somme demandée par la victime, et à charge pour elle d’exercer une action récursoire.
 
La Haute cour répond dans son avis du 20 janvier 2023 (CE, 20 janv. 2023, n° 468190, Lebon T.) que lorsqu’un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante et qui « portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher devant le juge administratif la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l’une de ces personnes à réparer l’intégralité du préjudice ». Le Conseil ajoute qu’aucun des coauteurs ne peut « s’exonérer, même partiellement, de sa responsabilité en invoquant l’existence de fautes commises par l’autre coauteur ».
 
Fautes portant chacune en elle l’intégralité du dommage
 
Le Conseil ajoute qu’il en résulte « que la victime peut demander la condamnation d'une personne publique à réparer l'intégralité de son préjudice lorsque la faute commise portait normalement en elle le dommage, alors même qu'une personne privée, agissant de façon indépendante, aurait commis une autre faute, qui portait aussi normalement en elle le dommage au moment où elle s'est produite ».
 
Sur le partage de responsabilité, le Conseil déclare qu’il n’y a pas lieu d’en tenir compte car il n’affecte pas « le caractère et l'étendue de leurs obligations à l'égard de la victime du dommage ». La personne publique pourra ensuite former une action récursoire « afin qu'il soit statué sur ce partage de responsabilité ».
 
Le Conseil d’État reprend ici un principe posé par une décision rendue en 2010 (CE, 2 juill. 2010, n° 323890, Lebon), où il avait posé une obligation in solidum dans le cas d’un dommage causé par différentes personnes publiques, au lieu d’établir un partage de responsabilité, et vient l’étendre à l’hypothèse d’un dommage causé par une personne privée et une personne publique. Il suit l’avis du rapporteur public Florian Roussel qui a indiqué dans ses conclusions sur la demande d’avis que la jurisprudence de 2010 avait bien vocation à s’appliquer à « l’hypothèse où l’une des fautes qui portait normalement en elle le dommage est imputable à une personne privée », estimant que cette solution n’était « pas motivée par la nature publique des deux personnes mises en cause ».
 
Le rapporteur rappelle également qu’une solution similaire avait été appliquée plus récemment (CE, 6 oct. 2022, n° 446764, Lebon), dans le cas cette fois de fautes commises par un même personnel médical « d’abord en qualité de praticien libéral puis dans le cadre du service public hospitalier ». Le Conseil avait alors jugé que les erreurs commises « engageaient la responsabilité du centre hospitalier à raison de l’intégralité du dommage, tout en réservant (…) la faculté pour l’établissement d’exercer une action récursoire contre le praticien ». Enfin, il explique que cette solution « semble la plus cohérente avec la théorie de la causalité adéquate », qui consiste à choisir quelle condition de réalisation du dommage est la cause juridique de ce dommage (sur les théories de la causalité, voir Le Lamy responsabilité administrative n° 231). Il indique qu’il convient de distinguer entre les cas où plusieurs fautes ont concouru à la réalisation d’un dommage, et les cas où chaque faute, « prise isolément, portait en elle normalement l’intégralité de celui-ci, c’est-à-dire lorsque chaque faute avait un pouvoir causal entier », et estime que le partage de responsabilité « ne se justifie plus lorsque chacun de ces faits était de nature à causer le dommage ».
 
Office du juge et règle de l’ultra petita
 
Le Conseil d’État devait aussi répondre à la question de savoir si le juge devait procéder à cette condamnation in solidum dans l’hypothèse où le demandeur conclurait à un partage de responsabilité. Dans ce cas, le juge est soumis à la règle de l’ultra petita et ne peut donc allouer une somme supérieure à celle demandée.
 
La Haute cour annonce dans son avis qu’il appartient « au juge de déterminer l'indemnité due au requérant, dans la limite des conclusions indemnitaires dont il est saisi, laquelle s'apprécie au regard du montant total de l'indemnisation demandée pour la réparation de l'entier dommage, quelle que soit l'argumentation des parties sur un éventuel partage de responsabilité ».
 
Ainsi, le juge peut bien procéder à une condamnation de la personne publique en considérant qu’il existait bien une obligation in solidum quand bien même le requérant aurait conclu à un partage de responsabilité. La seule limite sera le montant total demandé par le requérant, et non le montant total demandé à la personne publique uniquement dans le cadre d’un partage de responsabilité.
 
Enfin, alors que le tribunal administratif d’Amiens demandait au Conseil d’État si le juge devait soulever d’office un moyen tenant à écarter le partage de responsabilité demandé par la victime, le Conseil indique que ce point ne soulève pas de question nouvelle présentant des difficultés sérieuses.
Source : Actualités du droit