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Du conflit entre la CCJA et les juridictions suprêmes nationales

Afrique - Ohada
19/06/2017
Si pour une doctrine majoritaire, la CCJA (Cour commune de justice et d’arbitrage) est une juridiction communautaire, la persistance du conflit entre celle-ci et les juridictions suprêmes nationales jette un doute sur ce postulat. 
C’est dans ce sillage qu’il convient d’inscrire l’arrêt de la Cour suprême du Congo deuxième Chambre civile, audience publique du 30 novembre 2016 (Cour suprême du Congo, 2e ch. civ., audience publique, 30 nov. 2016, n° 35/gcs-2016). La question de droit au centre de la querelle est relative au conflit de compétence entre la CCJA et la Cour suprême du Congo.
 
Les faits
En l’espèce, la société Maisons sans Frontières Congo, le maître d’ouvrage et la société Elco Construction, le maître d’œuvre, ont conclu un contrat d’entreprise relatif à la construction des maisons d’habitation. Pour l’exécution, le maître d’ouvrage devait verser au maître d’œuvre un acompte de 30 % de la maison et le solde devait être payé en fonction de l’avancement des travaux d’un commun accord des parties. La société Maisons sans Frontières a versé un acompte à la société Elco. Et pendant l’exécution du contrat, la société Maisons sans Frontières le rompit unilatéralement après un constat par exploit d’huissier non contradictoire. La société Elco a saisi le tribunal de grande instance (TGI) de Pointe-Noire et sollicitait le paiement de la somme totale. Par jugement avant-dire-droit, le TGI de Pointe-Noire a ordonné l’estimation par voie d’expertise, des sommes dues à la société Elco en fonction de l’état d’avancement des travaux réalisés. La société Elco fit appel de ce jugement avant-dire-droit, qualifié d’interlocutoire, devant la cour d’appel de Pointe-Noire. Elle a demandé à la cour d’appel d’annuler la décision du TGI, d’évoquer et de statuer pour valider l’inscription d’hypothèque appartenant à la société Maisons sans Frontières, et de condamner cette dernière à payer un montant principal et des dommages et intérêts. À l’inverse, la société Maisons sans Frontières trouvait l’appel irrecevable. Elle arguait que le jugement du TGI était un jugement préparatoire insusceptible d’appel avant le jugement au fond du tribunal. La cour d’appel a rejeté l’exception d’irrecevabilité de l’appel soulevé par la société Maisons sans Frontières. Elle considère que le jugement du TGI n’est pas une décision préparatoire (avant-dire-droit) ; parce que le TGI s’est prononcé sur tous les chefs de demandes formulés par la société Elco, bien que la démarche soit implicite. La société Maisons sans Frontières s'est pourvue en cassation contre cet arrêt de la cour d’appel de Pointe-Noire. La Cour suprême de Pointe-Noire a retenu sa compétence. Elle a annulé l’arrêt de la cour d’appel au motif qu’il est question d’un jugement préparatoire, insusceptible d’appel avant le jugement au fond, et non d’un jugement interlocutoire. La Cour suprême a ensuite envoyé la cause et les parties devant le TGI de Pointe-Noire, afin qu’il poursuive l’instruction de l’affaire et se prononce au fond. La société Elco a introduit un pourvoi en annulation de l’arrêt de la Cour suprême du Congo à la CCJA. Celle-ci a reconnu sa compétence pour deux raisons. La première est que la Cour suprême du Congo a fait primer le contrôle de la régularité procédurale (le litige portait sur l’appel interjeté contre un jugement avant-dire-droit) sur la compétence rationae materiae. La seconde raison est que la CCJA doit être compétente ; parce que l’objet du litige est relatif à l’application des articles 212 et 213 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés (Acte uniforme portant organisation des sûretés, 15 déc. 2010). La CCJA a déclaré nul et non avenu l’arrêt de la Cour suprême du Congo. En retour, la société Maisons sans Frontières a saisi la Cour suprême du Congo sur le sort de son arrêt. Il en ressort l’interrogation suivante : lorsqu’un litige comporte des questions de procédures régies par le droit national et l’application au fond des actes uniformes OHADA, quelle serait la juridiction compétente ? Le juge de la Cour suprême du Congo fait primer la juridiction suprême nationale sur les questions de procédure sur la CCJA, compétente pour connaitre en cassation et au fond des Actes uniformes. Cette décision est ambigüe à plusieurs égards.
 
La primauté de la juridiction suprême nationale sur la CCJA en présence d’un litige mixte
Dans le cadre de cette décision, un litige mixte est une discorde, qui présente des questions relatives au droit interne et au droit OHADA (organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires). Le dernier juge de la présente décision est la Cour suprême du Congo. Elle décide qu’en présence d’un litige mixte, l’affaire doit être vidée par la juridiction suprême nationale pour des questions liées à la procédure. Une telle décision prend appui sur la distinction des questions de droit interne et de droit OHADA. Les questions de droit interne sont du ressort de la juridiction suprême nationale. Certains arguments de droit et de fait sont mobilisés au soutien de cette cause. En droit, la Cour suprême du Congo donne effet au moyen de cassation de la société Maisons sans Frontières du Congo. Il consiste en la mauvaise application des dispositions du Code de procédure civile, commerciale, administrative et financière ; aux termes duquel le jugement avant-dire-droit est un jugement préparatoire. Par conséquent, il ne peut être frappé d’appel avant le jugement au fond. Il s’agit par extension d’une question préalable relevant de l’ordre public interne et de la juridiction suprême nationale en dernier lieu. Sur cette base, la CCJA n’a pas compétence pour connaître des questions préalables rattachables au droit interne. Elle ne doit pas s’immiscer d’une compétence, qui n’est pas la sienne.
La Cour suprême du Congo décide aussi que les pourvois mixtes ne sont pas de la compétence exclusive de la CCJA. Elle réfute la posture selon laquelle : si un pourvoi soulève des questions de droit interne et des questions liées à l’application des Actes uniformes, c’est la CCJA qui est compétente. Outre ces arguments de droit, la Cour suprême du Congo s’appuie sur un élément de fait. Il est question de la non-exécution de l’arrêt de la CCJA sur le territoire congolais. C’est une sanction relativisant la supranationalité de la CCJA. La présente décision fortifie l’ambigüité des rapports entre la juridiction suprême nationale et la CCJA.
 
Une décision ambiguë sur les rapports entre la juridiction suprême nationale et la CCJA
Par ambiguïté, il faut entendre une situation clair-obscur. Elle se traduit par des enseignements critiquables de la présente décision. La Cour suprême du Congo pose trois idées : le principe de la répartition des compétences, la négation de la primauté de la CCJA sur les juridictions suprêmes nationales, et l’étatisation de l’exécution des décisions de justice. Par le principe de répartition des compétences, les juridictions nationales seraient compétentes en matière de droit national et la CCJA en droit OHADA. Ce principe est confus ; car le droit OHADA fait partie intégrante du droit national de chaque État membre de l’OHADA. Il n’y a pas de distance à établir entre les deux droits. La source est l’OHADA, et les droits primaire et dérivé sont destinés à intégrer les États membres de l’OHADA.
La négation de la primauté de la CCJA sur les juridictions suprêmes nationales a deux conséquences. La première est que la CCJA n’est pas une juridiction communautaire comme défendue par la doctrine majoritaire. C’est une juridiction de cassation, complémentaire du système judiciaire interne de chaque État membre de l’OHADA. La seconde est dans l’exigence de complémentarité et du dialogue entre les juridictions suprêmes et la CCJA (chaque État doit avoir dans sa Cour suprême, une chambre de la CCJA). Enfin, l’exécution des décisions de justice ne peut être garantie que par les juridictions nationales. Ce qui rend les décisions de la CCJA dépendante de l’assentiment des juridictions nationales.
Le conflit entre juridiction suprême et CCJA trahit la difficulté à cerner le socle théorique explicatif de l’OHADA. La logique commune et souverainiste semble approprier pour comprendre l’OHADA, en lieu et place de la logique communautaire.
Source : Actualités du droit