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Premier aperçu du nouveau droit OHADA des entreprises en difficulté

Afrique - Ohada
08/09/2017
L’un des corollaires de la finalité sociale de la règle de droit est son évolution constante, au rythme du progrès socio-économique et culturel du milieu où il est appliqué. Ce phénomène, qui n’épargne pas le droit applicable aux affaires, justifie sans doute la récente intervention du législateur OHADA, réformant les dispositions applicables en matière de procédures collectives d’apurement du passif. Le point avec Serge K. EVELAMENOU, Docteur en droit privé, Enseignant-chercheur, Faculté de droit, Université de Lomé.
L’efficacité d’une législation, disait le doyen Ripert, ne peut se mesurer que lorsqu’elle aura atteint l’âge de maturité, c’est-à-dire après au moins une vingtaine d’années d’application (Le déclin du droit, Études sur la législation contemporaine, LGDJ, 1949, p. 17). Quinze années d’application de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif (AUPC) ont suffi au législateur OHADA pour se rendre compte de l’inefficacité du dispositif adopté le 10 avril 1998 et entré en vigueur le 1er janvier 1999. Les critiques ont été, en effet, assez nombreuses. Les principales tiennent à l’imprécision du critère d’ouverture de la procédure préventive, l’exclusion de certaines catégories de débiteur, la lourdeur des procédures, notamment pour les petites entreprises, ou encore l’absence de réglementation du statut des mandataires de justice intervenant dans la procédure (Evelamenou S. K., Le concordat préventif en droit OHADA, thèse, Université Paris-Est, 2012). 
 
Une réforme adoptée le 10 septembre 2015 a opéré une refonte complète du droit existant, en prenant en compte toutes ces critiques. Tout en conservant la dénomination initiale, le nouveau droit des entreprises en difficulté de l’espace OHADA s’est démarqué de l’objectif initial, affichant clairement une préférence pour la prévention des difficultés et la sauvegarde de l’entreprise, sans pour autant occulter le nécessaire désintéressement des créanciers, qui semblait être l’objet principal du droit ancien. Le nouvel Acte uniforme a, en effet, pour objet « d’organiser les procédures préventives de conciliation et de règlement préventif, ainsi que les procédures curatives de redressement judiciaire et de liquidation des biens », afin, non seulement, « de préserver les activités économiques et les niveaux d’emplois des entreprises débitrices », mais aussi « de redresser rapidement les entreprises viables et liquider celles qui ne sont plus viables dans des conditions propres à maximiser la valeur des actifs des débiteurs pour augmenter les montants recouvrés par les créanciers », d’après un ordre de payement bien clarifié, selon que les créances sont ou non privilégiées ou garanties (AUPC, art. 1).
 
On observe ainsi que, malgré l’ambition affichée, le droit nouveau ne s’est pas départi de l’ambition traditionnelle des procédures collectives : concilier des intérêts, en apparence, opposés que sont le redressement de l’entreprise et le désintéressement des créanciers. Ce qui, comme dans le droit ancien, laisse subsister la question de l’efficacité du dispositif issu de la réforme et destiné à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises.
 
Le texte nouveau semble, néanmoins, lever tout doute à ce sujet, tant le changement de paradigme est notoire, avec un ordre de priorité inversé, comparé au droit antérieur : préserver l’activité économique et sauvegarder l’emploi, d’abord ; payer les créanciers, ensuite. Ce qui s’explique par l’introduction de nombreuses nouveautés, telles que la procédure de conciliation, qui apparaît comme l’innovation majeure de la réforme, sans pour autant en constituer la seule. D’autres nouveautés concernent, notamment l’adoption d’un nouveau critère d’admissibilité à la procédure du règlement préventif et l’élargissement du domaine couvert par le nouveau droit des entreprises en difficulté, qui s’applique désormais à tous les opérateurs économiques.
 
En attendant ses premières applications, on peut d’ores et déjà observer que le nouvel Acte uniforme de l’OHADA portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif est très nettement renouvelé et amélioré. Ce qui semble augurer des résultats meilleurs que sous l’égide du droit antérieur.  
 
I- Un droit renouvelé : l’introduction de la conciliation
 
La grande nouveauté de la révision opérée le 10 septembre 2015 est, sans doute, l’introduction d’un dispositif supplémentaire de prévention : la conciliation. C’est un mécanisme qui se démarque des autres procédures, notamment par sa souplesse, mais également par le caractère contractuel de l’accord qui conclut le processus.
 
A- La souplesse de la procédure de conciliation
 
Selon l’article 2, alinéa 1, AUPC, « la conciliation est une procédure préventive, consensuelle et confidentielle, destinée à éviter la cessation des paiements de l’entreprise débitrice, afin d’effectuer, en tout ou partie, sa restructuration financière ou opérationnelle pour la sauvegarder ». Elle a pour objectif de « trouver un accord amiable avec les principaux créanciers et cocontractants du débiteur, en vue de mettre fin à ses difficultés » (AUPC, art. 5-1, al. 2).
 
Le traitement des difficultés est donc contractuel, discret, facultatif et d’une extrême simplicité. Ce qui fait de la conciliation un mécanisme très souple, à la fois du point de vue de sa mise en œuvre et dans son déroulement.
 
1. Un dispositif souple dans sa mise en œuvre
 
La souplesse du mécanisme de la conciliation du droit OHADA vient surtout de ce qu’elle est conçue comme un processus purement volontaire. C’est au chef d’entreprise qu’il appartient d’y recourir, seul ou accompagné d’un ou plusieurs de ses créanciers. L’article 5-2, alinéa 1er, prévoit en effet que, pour l’ouverture de la procédure, le président de la juridiction compétente doit être saisi par « une requête du débiteur ou par une requête conjointe de ce dernier avec un ou plusieurs de ses créanciers ». C’est là une différence fondamentale avec le droit français, où la conciliation ne peut être ouverte que sur demande du seul débiteur.
 
Cependant, le bénéfice de la procédure est subordonné à une double série d’exigences, les unes concernant l’accès à ce processus, les autres à la situation du débiteur. Les débiteurs justiciables de la conciliation sont énoncés par l’article 5-1, alinéa 1er, qui renvoie à l’article 1-1, précisant le champ d’application de l’AUPC en général. C’est dire que le domaine d’application de la conciliation n’est pas différent de celui des autres procédures prévues par le droit OHADA des entreprises en difficulté. Peuvent solliciter une conciliation, non seulement les personnes physiques exerçant une activité professionnelle civile, mais encore les artisans, les commerçants, les agriculteurs, ainsi que toutes les personnes morales de droit privé et toutes les entreprises publiques fonctionnant sous la forme d’une personne morale de droit privé.
 
Ils doivent réunir deux conditions cumulatives, posées par l’article 5-1, alinéa 1er de l’AUPC : connaître « des difficultés avérées ou prévisibles », sans être « en état de cessation des paiements ». La première condition reflète l’idée que la conciliation doit pouvoir démarrer très tôt, c’est-à-dire même lorsque les difficultés ne sont que prévisibles. Mais, seules les difficultés qui sont de nature à compromettre la continuité de l’exploitation méritent d’être prises en considération (Le Cannu P., Droit commercial, Entreprises en difficulté, Dalloz, 7e éd., n° 90). La nature des difficultés est indifférente. La formule employée – « difficultés avérées ou prévisibles » – est, en effet, assez imprécise pour pouvoir englober tout type de difficulté : financière, économique, sociale, juridique… Cela permet au chef d'entreprise d'anticiper les difficultés à venir, afin, notamment, de saisir le plus précocement possible la juridiction compétente.
 
La seconde condition est négative et s’ajoute à la première : le demandeur ne doit pas être déjà en état de cessation des paiements. Cela va de soi, puisque c’est, en fin de compte, le but visé par la procédure. L’exigence de l’absence de la cessation des paiements est encore une différence fondamentale avec le droit français, où la conciliation peut être accordée même au débiteur dont l’état de cessation des paiements ne dépasse pas 45 jours (C. com., art. L. 611-4). Ce qui confère au nouveau droit OHADA une plus grande clarté par rapport à la loi française dite de sauvegarde, critiquée pour son absence de clarté quant à la situation du débiteur (Teboul G., La cessation des paiements : une définition sans avenir ? Gaz. Pal. 15 nov. 2007, n° 319, p. 2).
 
Le caractère souple de la conciliation ne s’observe pas uniquement dans son déclenchement ; son déroulement en est également marqué.
 
2. Une souplesse dans le déroulement de la procédure
 
Le président du tribunal saisi dispose d’une grande liberté d’appréciation. Il statue au vu des propositions du débiteur et en fonction des éléments dont il a pu obtenir communication. S’il rejette la requête, cela peut s’expliquer soit par le fait que la difficulté rencontrée peut se régler sans que l’on ait recours à un moratoire, soit parce que l’entreprise est déjà en état de cessation des paiements. Dans ce dernier cas, le tribunal peut se saisir d’office et ouvrir une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation des biens, s’il estime que le redressement est manifestement impossible.
 
Le président du tribunal peut, au contraire, admettre l’entreprise au bénéfice de la conciliation. Il nomme alors un conciliateur qui reçoit la mission de faciliter la conclusion d’un accord entre le débiteur et ses principaux créanciers. Certes, c’est le président du tribunal qui détient le pouvoir de décider qui va remplir la mission de conciliateur, mais l’article 5-2, 6°, autorise le débiteur à proposer un conciliateur à désigner par le président, qui conserve, cependant la liberté de ne pas approuver le choix du débiteur. Il peut nommer qui il veut.
 
Concernant la mission du conciliateur, il faut préciser qu’il consiste simplement à animer une négociation vers un accord auquel il n’est nullement partie (AUPC, art. 5-1, al. 2). Plusieurs raisons peuvent dès lors mettre fin par anticipation à cette mission : démission, révocation par le débiteur, survenance de la cessation des paiements ou impossibilité de parvenir à un accord. Au cas contraire, la durée de la conciliation est de trois mois, éventuellement prorogée d’un mois par une décision spécialement motivée du président du tribunal.
 
S’agissant de son statut, la jurisprudence française, d’avant les textes de 2005, avait reconnu au conciliateur la qualité d’auxiliaire de justice, « à titre occasionnel », car il est « investi de sa mission par décision judiciaire » (Cass. com., 17 févr. 1998, n° 94-17.292, Bull. civ. IV, n° 73, D. Aff. 1998, n° 109, p. 478, obs. A. L.). Cette analyse doit être conservée, car elle s’accorde parfaitement avec les nouvelles exigences issues des articles 4 et suivants de l’Acte uniforme, réglementant les fonctions de mandataire judiciaire, même si le législateur semble avoir omis de mentionner le conciliateur dans la liste des différents mandataires judiciaires. Il en résulte notamment que le conciliateur doit rendre compte au président de la juridiction compétente, de l’état d’avancement de sa mission, et de ses résultats, ce que prévoit d’ailleurs l’article 5-6, alinéa 1er.
 
Pour être nommé conciliateur, il faut avoir le plein exercice de ses droits civils, justifier de sa compétence professionnelle et demeurer indépendant et impartial vis-à-vis des parties à la conciliation. En particulier, le conciliateur ne doit pas avoir reçu, à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, une rémunération ou un paiement de la part du débiteur, de tout créancier du débiteur ou d’une personne qui en détient le contrôle ou est contrôlée par le débiteur, au cours des vingt-quatre mois précédant la décision d’ouverture.
 
De plus, aucun parent ou allié du débiteur, jusqu’au quatrième degré inclusivement, ne peut être désigné en qualité de conciliateur. Il en va de même pour tout magistrat en fonction ou ayant quitté ses fonctions depuis moins de cinq ans (AUPC, art. 5-4, al. 2).
 
La procédure de conciliation semble ainsi portée en elle les germes d’une certaine efficacité, d’autant plus que l’accord qui en est l’aboutissement a une nature essentiellement contractuelle.
 
B- La nature conventionnelle de l’accord de conciliation
 
Cet accord se caractérise par la grande liberté de négociation dont jouissent les parties, mais encore par l’introduction du privilège de « l’argent frais » pour en faciliter la conclusion.
 
1. Une totale liberté de négociation
 
L’accord qui conclut le processus a donc, de toute évidence, une nature contractuelle. Il doit être conclu par la rencontre de consentements libres et éclairés. Ce qui signifie aussi que l’accord ne peut être arrêté à la majorité. Il produit donc les effets habituels d’un contrat.
 
La conciliation met, en effet, en présence le débiteur personne physique, ou le représentant légal de la personne morale débitrice, et tout ou partie des créanciers. La loi recommande les principaux créanciers, c’est-à-dire les créanciers dont les créances sont les plus élevées, et les créanciers titulaires de sûreté réelle ou de privilèges, notamment le Trésor public, les banques et les principaux fournisseurs de l’entreprise. En pratique, le conciliateur aura intérêt à inviter un maximum de créanciers à la négociation, y compris les cautions du débiteur, même si ces dernières ne sont que des créanciers potentiels (Le Cannu P., Droit commercial, Entreprises en difficulté, 7e éd., n° 107).
 
Conformément aux dispositions des articles 5-6 et suivants de l’AUPC, la négociation peut déboucher sur trois issues possibles. La première est négative : les parties n’ont pas trouvé d’accord. Les deux autres sont positives, mais inégalement sécurisantes. Il s’agit de l’accord déposé au rang des minutes d’un notaire et l’accord homologué ou exequaturé.
 
S’agissant des conséquences de l’échec des négociations, aucune suite directe n’est fixée par les textes. On peut envisager quatre sortes de situations. Soit, le débiteur a retrouvé une solvabilité qui lui permet de se passer de la conciliation ; l’hypothèse sera évidemment la moins courante, mais elle peut se présenter, notamment pour une société membre d’un groupe (Le Cannu P. Droit commercial, Entreprises en difficulté, 7e éd., n° 117). Soit, le débiteur n’est pas encore en état de cessation des paiements, et il peut se placer sous la protection d’une procédure de règlement préventif. Soit, le débiteur est en état de cessation des paiements et, selon que l’entreprise est ou non redressable, le tribunal peut se saisir d’office et ouvrir un redressement judiciaire ou une liquidation des biens.
 
Dans le cas où la négociation aboutit, la réforme de 2015 a encore innové, en distinguant deux régimes. L’accord signé peut, à la requête de la partie la plus diligente, être soit déposé au rang des minutes d’un notaire pour être authentifié, soit homologué, et en cas de procédure internationale, être exequaturé. Le dépôt au rang des minutes d’un notaire n’est accompagné d’aucune formalité particulière et garantit donc la confidentialité de la procédure. Mais, cette solution comporte un inconvénient. Les effets de l’accord authentifié par un notaire se limitent, en effet, à ceux voulus par les parties. Autrement dit, le privilège de l’article 5-11 ne s’applique pas et, en cas d’ouverture ultérieure d’une procédure collective de redressement judiciaire ou de liquidation des biens, la période suspecte peut être fixée à une date antérieure à la date d’authentification par le notaire.
 
Aussi, le législateur prévoit-il que, aussi bien le débiteur que tout créancier signataire de l’accord de conciliation, peuvent solliciter de la juridiction compétente son homologation. Pour rendre son jugement, le tribunal doit vérifier le contenu de l’accord, mais ne peut refuser l’homologation ou l’exequatur que si l’accord est contraire à l’ordre public.
 
Cette homologation a pour principal intérêt de faire profiter aux créanciers concernés le privilège de l’article 5-11, ce qui est de nature à faciliter la conclusion de l’accord.
 
2. Un accord facilité par le privilège du « new money »
 
Afin d’améliorer les chances de redressement de l’entreprise débitrice, l’article 5-11, alinéa 1er, crée un privilège au profit des apporteurs de fonds nouveaux en vue de permettre la poursuite de l’activité. Ce texte dispose qu’« en cas d'ouverture d'une procédure de liquidation des biens postérieurement à la conclusion d'un accord de conciliation homologué ou exequaturé (…) les personnes qui avaient consenti dans l'accord un nouvel apport en trésorerie au débiteur en vue d'assurer la poursuite de l'activité de l'entreprise débitrice et sa pérennité sont payées au titre du privilège selon les rangs prévus par les articles 166 et 167 (…) », c’est-à-dire par priorité et par préférence à tous les créanciers antérieurs, que leurs créances soient garanties ou non. La mesure, qui n’est pas propre au droit OHADA, a un domaine d’application très circonscrit.

La réussite d’un redressement négocié avec les créanciers passe, en effet, non seulement par un aménagement de la dette antérieure, mais aussi par l’apport de fonds nouveaux (Le Corre P.-M., Le privilège de la conciliation, Gaz. Pal., sept.-oct. 2005, p. 2966). Le droit anglo-saxon qualifie ce nouvel apport en trésorerie de « fresh money » ou « new money », consenti en vue d’assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité. Ces dettes nées régulièrement après l’ouverture de la procédure, de la poursuite d’activité, sont préférées et payées avant les créances antérieures en cas de liquidation des biens du débiteur. Cette priorité existait en droit français, déjà avant la loi de 1985 et était le fruit d’une construction jurisprudentielle (Cass. com., 16 mars 1965, D. 1966, p. 63). Les créances nées de la poursuite de l’exploitation postérieurement au jugement déclaratif bénéficiaient d’un droit de préférence et devaient être payées sur l’actif propre de la masse avant toute répartition aux créanciers dans la masse. Ces créanciers postérieurs n’étaient, toutefois, payés qu’après les créanciers titulaires d’une sûreté immobilière spéciale ou d’une sûreté mobilière affectée d’un droit de rétention, à moins qu’ils n’aient contribué à la réalisation ou à la conservation du bien grevé. De plus, la mesure ne s’appliquait qu’à la procédure de redressement judiciaire classique.
 
Or, dans l’ancien règlement amiable du droit français, ces apporteurs de « new money » n’étaient pas récompensés de leur prise de risque : en cas d’échec de l’accord et d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, ils étaient assimilés purement et simplement aux autres créanciers antérieurs, venant en concours avec eux pour une distribution de fonds souvent hypothétique. Le résultat pratique était que les entreprises en difficulté ne pouvaient se procurer aucun crédit, ce qui compromettait gravement leur redressement (Guyon Y., Droit des affaires, t. 2, Economica, 9e éd., 2003, n° 1246).  
 
C’est ce qui a déterminé l’intervention du législateur français et que vient de suivre l’OHADA, pour créer un privilège attaché à ces nouvelles créances. Celui qui a accepté de prendre des risques dans l’intérêt commun, disait le doyen Guyon, doit être payé avant les autres (Guyon Y., Droit des affaires, t. 2, op. cit., n° 1245). Ce qu’admettent désormais les dispositions de l’article 5-11. 
 
Toutefois, l’article 5-11 de l’AUPC, ne réserve le privilège de l’argent frais qu’à deux catégories de créances : d’une part, celles nées d’un nouvel apport de trésorerie (« new money »), ce qui exclut les créances nées antérieurement et pour lesquelles ont été consentis de nouveaux délais de paiement ; d’autre part, celles nées de la fourniture d’un nouveau bien ou service dans le but d’assurer la poursuite d’activité et la pérennité de l’entreprise.
 
En outre, cet apport ou cette promesse d’apport de fonds nouveaux et ces fournitures nouvelles doivent être constatés dans l’accord homologué ou exequaturé. Les créanciers qui veulent bénéficier du privilège doivent donc se fondre dans la démarche collective de négociation pour être intégré à l’accord, qui doit ensuite être homologué.
 
Il faut souligner que le privilège de l’argent frais n’est pas réservé à la seule conciliation. Il est prévu dans le règlement préventif (AUPC, art. 11-1), mais aussi dans le redressement judiciaire (AUPC, art. 33-1). Ce qui dénote d’une volonté d’amélioration de l’ensemble des procédures collectives du droit OHADA.
 

II- Un droit amélioré
 
Les améliorations apportées par le nouveau dispositif concernent à titre principal le règlement préventif, qui ressort épuré et modernisé, notamment quant au critère de sa mise en œuvre (A). En outre, la volonté d’une amélioration est perceptible grâce à quelques "retouches" particulières consacrant la modernisation de l’ensemble du droit des procédures collectives (B).
 
A- Un règlement préventif épuré
 
Le règlement préventif, tel que prévu initialement, n’a pas donné les résultats escomptés. Sa grande inefficacité est, à titre principal, due à sa mise en œuvre tardive, imputée, notamment, au caractère imprécis du critère d’ouverture, mais également au prononcé tardif de la suspension des poursuites individuelles, autant de critiques prises en compte par la réforme de 2015.
 
1. Un critère d’ouverture reformulé
 
L’ancien article 2-1, alinéa 2, de l’AUPC, n’accordait le bénéfice du règlement préventif qu’au débiteur qui connaît une situation économique et financière difficile, mais non irrémédiablement compromise. L’auteur de la requête en règlement préventif devait, dès lors, faire une double preuve : d’abord démontrer qu’il connaît une situation économique et financière difficile, puis apporter la preuve que cette situation, quoique difficile, n’est pas pour autant irrémédiablement compromise.
 
Dans une étude consacrée à l’accord concordataire issu de la procédure, il a été démontré que la formule « situation économique et financière, non irrémédiablement compromise » est assez imprécise et floue, et surtout posait problème, compte tenu du but visé par la procédure, qui, selon le législateur, est « destinée à éviter la cessation des paiements » du débiteur (Evelamenou S. K., thèse, p. 85). Il a, en effet, été observé qu’un débiteur peut être en cessation des paiements sans pour autant être dans une situation irrémédiablement compromise, puisque la notion de situation irrémédiablement compromise vise l’entreprise qui n’est plus viable et n’a plus de chance d’être redressée alors que la cessation des paiements laisse ouverte la perspective d’un redressement.  
 
Désormais, selon les termes de l’article 6, nouveau, de l’AUPC, « le règlement préventif est ouvert au débiteur qui, sans être en état de cessation des paiements, justifie de difficultés financières ou économiques sérieuses ». Plus besoin de savoir si la situation du débiteur est ou non irrémédiablement compromise. Il lui suffit de faire la preuve qu’il n’est pas en cessation des paiements, qu’il continue de payer normalement ses dettes échues, mais que cette normalité risque de ne pas durer, parce qu’il est confronté à de sérieuses difficultés financières ou économiques. Néanmoins, la difficulté doit être suffisamment sérieuse et révéler le besoin d’un soutien de la justice et du "parapluie" de la procédure (Saint-Alary-Houin C., Droit des entreprises en difficulté, Montchrestien, 10e éd., 2016, n° 375). Sans doute, le législateur cherche ainsi à concilier le souci d’un traitement précoce des difficultés avec celui d’une prévention des abus (Le Corre P.-M., Premiers regards sur la loi de sauvegarde des entreprises, D. 2005, p. 2299, n° 17). Le règlement préventif ne doit pas, en effet, être « un moyen commode pour alléger ses charges » (Pérochon F., Entreprises en difficulté, LGDJ, 8e éd., n° 66), ni « un mode de gestion déguisée lorsque l’entreprise sera confrontée à une conjoncture peu favorable » (Barbieri J.-F., Le choix des techniques de traitement des difficultés des entreprises, Réflexions liminaires, Rev. proc. coll. 2005, p. 346, n° 4, spéc., n° 7). Seules les difficultés qui sont de nature à compromettre la continuité de l’exploitation ou la poursuite de l’activité méritent d’être prises en considération.
 
Toutefois, les difficultés financières ou économiques sérieuses ne requièrent pas que la cessation des paiements soit imminente, ni même que des poursuites préalables aient été diligentées contre le débiteur. En revanche, le critère de « difficultés avérées ou prévisibles », requis pour l’ouverture d’une conciliation, ne suffirait pas pour ouvrir un règlement préventif. Il faudrait que les difficultés, en principe déjà avérées, soient encore sérieuses ou suffisamment graves pour compromettre à terme l’activité de l’entreprise. Ainsi, dans l’hypothèse où, tout en apparaissant sérieuses, les difficultés ne sont pour l’heure que prévisibles, c’est en principe à la conciliation qu’il faudra recourir. On comprend alors pourquoi le législateur n’a pas retenu un critère identique d’ouverture des deux procédures. La pertinence de deux procédures préventives serait, en effet, sujette à questions.
 
Outre le "toilettage" du critère d’ouverture du règlement préventif, le prononcé de la décision de suspension des poursuites individuelles a également connu des améliorations.
 
2. Une suspension des poursuites presque « à l’américaine »
 
L’objectif de la suspension des poursuites individuelles est de permettre à l’entreprise en difficulté de négocier avec ses créanciers un accord de redressement, en étant mise à l’abri des poursuites de ces derniers, et d’obtenir des remises de dettes ou des délais de paiement (Baudron A.-M., La suspension provisoires des poursuites et l’apurement collectif du passif selon l’ordonnance du 23 septembre 1967, LGDJ, 1972, préf. Gavalda, n° 148).
 
Dans l’ancien règlement préventif, le prononcé de la suspension des poursuites était subordonné au dépôt par le débiteur d’une offre de concordat préventif, qui peut n’intervenir qu’un mois après la requête en règlement préventif. Or, pendant ce laps de temps, les créanciers, informés des difficultés de leur débiteur, ont eu le temps de recouvrer leurs créances, ou au moins de prendre les dispositions nécessaires pour en garantir le recouvrement. Dans ces conditions, l’objectif de la suspension des poursuites était difficile à atteindre. Il a donc été proposé que le prononcé de cette mesure ait lieu dès le dépôt de la requête introductive d’instance par le débiteur (Evelamenou S. K., thèse, n° 281), à l’instar du droit américain où s’applique la règle de suspension automatique des poursuites, automatic stay, indépendamment de toute décision du tribunal, la procédure étant ouverte dès que la requête du débiteur est enregistrée.
 
La réforme du 10 septembre 2015 a préféré suivre le mécanisme adopté par le législateur français dans la procédure de sauvegarde qui, tout en s’inspirant du système américain, a opté pour une suspension de plein droit résultant du jugement d’ouverture (C. com., art. L. 622-21). Le nouvel article 9, AUPC, en son alinéa 1er, prévoit en effet que « la décision d’ouverture du règlement préventif suspend ou interdit toutes les poursuites individuelles tendant à obtenir le paiement des créances nées antérieurement à ladite décision (…) ». Ainsi, la suspension des poursuites a, désormais, lieu plus tôt, c’est-à-dire, en principe dès réception de la requête par le président du tribunal, puisque la loi ne lui accorde aucun délai pour statuer. Mais, elle n’est plus automatiquement due ou acquise, dès lors que le débiteur dépose une offre de concordat, mais constitue plutôt un effet du jugement d’ouverture de la procédure du règlement préventif. Le projet de concordat est aussi déposé en même temps que la requête en règlement préventif, dont il constitue dorénavant une condition de recevabilité, selon les termes du nouvel article 6-1. 
 
Le président de la juridiction compétente ne prendra la décision d’ouvrir la procédure que « si le projet de concordat préventif lui paraît sérieux », précise l’article 8. Il s’agit, sans doute, d’éviter que la procédure ne soit sollicitée qu’à des fins dilatoires, comme on a pu le voir sous l’empire de la loi ancienne, souvent avec la complicité de l’expert nommé et, parfois même, en toute connivence avec les juges. C’est dire que le débiteur aura le plus souvent intérêt à présenter une requête conjointe avec la plupart ou les principaux de ses créanciers, comme l’y autorise désormais l’article 6, alinéa 2. Une requête conjointe sera, en effet, perçue aux yeux du juge comme un gage de sérieux et d’efficacité de la procédure à ouvrir.  
 
Par ailleurs, dans le droit nouveau, la suspension des poursuites n’est plus limitée aux seules créances désignées par le débiteur dans sa requête, comme c’était le cas dans le droit ancien. Elle s’étend désormais à « toutes les poursuites individuelles tendant à obtenir le paiement des créances nées antérieurement » à la décision d'ouverture du règlement préventif, et « s'applique à toutes les créances chirographaires et à celles garanties par un privilège général, un privilège mobilier spécial, un gage, un nantissement ou une hypothèque, à l'exception des créances de salaires et d'aliments ». Elle concerne « aussi bien les voies d'exécution que les mesures conservatoires, y compris toute mesure d'exécution extrajudiciaire » (AUPC, art. 9, al. 1, 2 et 3).
 
Hormis le règlement préventif, qui apparaît considérablement amélioré, la récente révision a également apporté quelques touches de modernité à l’ensemble du dispositif OHADA des procédures collectives d’apurement du passif.
 
B- Un dispositif modernisé
 
La réforme de 2015 a nettement modernisé le droit OHADA des procédures collectives. Cette modernisation se ressent, à la fois, de par l’ouverture du droit nouveau à toutes les catégories de débiteur, tout en tenant compte de leur dimension (1), et par la consécration du critère moderne d’appréciation de l’état de cessation des paiements (2).
 
1. Une ouverture à tous les acteurs économiques en fonction de leur dimension
 
Le domaine d’application du droit OHADA des entreprises en difficulté s’est élargi. Peuvent désormais solliciter l’ouverture des procédures collectives, non seulement les personnes physiques exerçant une activité professionnelle civile, c’est-à-dire essentiellement les membres des professions libérales, tels avocats, médecins, architectes, etc., et des officiers ministériels tels que notaires, huissiers de justice, etc., mais encore les artisans, les commerçants, les agriculteurs, ainsi que toutes les personnes morales de droit privé et toutes les entreprises publiques fonctionnant sous la forme d’une personne morale de droit privé. Toutes les activités économiques sont donc pratiquement prises en compte.
 
Par ailleurs, l’alinéa 2 de l’article 1-1, de l’AUPC, a levé le doute qui subsistait au sujet des banques et établissement financiers et des compagnies d’assurance. Les textes régissant ces deux catégories de personnes morales prévoient, en effet, des dispositions spéciales en cas de procédures collectives. Il s’agit de la réglementation bancaire de l’UEMOA [art. 84 à 100, Loi-cadre portant règlementation bancaire], pour les banques et établissements financiers, et des dispositions du Code CIMA [art. 325 à 325-14], pour les compagnies d’assurances. Le nouvel article 1-1, alinéa 2, de l’AUPC, tient compte de cette spécificité et dispose que « les procédures de conciliation, de règlement préventif, de redressement judiciaire et de liquidation des biens sont applicables aux personnes morales de droit privé qui exercent une activité soumise à un régime particulier lorsqu'il n'en est pas disposé autrement dans la réglementation spécifique régissant ladite activité (…) ». En clair, les banques et les établissements financiers, de même que les sociétés d’assurances peuvent demander l’ouverture d’une procédure collective, mais seulement dans le cas où les textes particuliers qui les concernent le permettent.
 
Demeurent seuls exclus des procédures collectives, les personnes morales de droit public en raison notamment du principe de l’insaisissabilité des biens et des deniers publics (Coudert P., L’application des procédures collectives aux entreprises publiques, LPA, 14 sept. 1994, p. 26). Il s’agit de l'État, les institutions étatiques, les collectivités décentralisées, les établissements publics administratifs, les régies, etc.
 
Le nouveau texte a également pris en compte les petites unités de production et prévoit trois procédures simplifiées, aussi bien de règlement préventif que de redressement judiciaire et de liquidation des biens, au côté des procédures initiales. Seules peuvent bénéficier des procédures simplifiées, les petites entreprises que l’article 1-3 définit comme « toute entreprise individuelle, société ou autre personne morale de droit privé dont le nombre de travailleurs est inférieur ou égale à vingt, et dont le chiffre d’affaires n’excède pas cinquante millions de FCFA, hors taxes, au cours des 12 mois précédant la saisine de la juridiction compétente ».
 
Mais, le critère d’admissibilité à la procédure simplifiée pose un autre problème : celui d’une disparité dans la désignation de l’entité passible de la procédure. En effet, alors que l’AUPC opte pour le vocable de « petites entreprises », avec des seuils prenant en compte le nombre de travailleurs et le chiffre d’affaires des 12 derniers mois, l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises (AUCE, 24 mars 2000) préfère parler de « très petites entreprises », en retenant des seuils basés sur les recettes annuelles, et un montant inférieur, tandis que l’Acte uniforme relatif au droit commercial général (AUDC, 15 déc. 2010) retient les seuils de l’AUCE comme critère pour bénéficier du statut de l’entreprenant, qu’il définit en son article 30 comme un entrepreneur individuel, personne physique qui, sur simple déclaration, exerce une activité professionnelle civile, commerciale, artisanale ou agricole.
 
Il est donc dans l’intérêt du droit OHADA que le législateur procède à une harmonisation des expressions et notions employés dans les divers actes uniformes, afin d’assurer une complémentarité entre eux et ainsi une plus grande efficacité juridique, même si les différentes "retouches" apportées par la réforme, notamment la consécration du critère moderne de la notion de cessation des paiements, semblent déjà concourir à ce dernier objectif.
 
2. Une prise en compte du critère moderne de la cessation des paiements
 
Un autre aspect de modernisation du droit, concerne l’appréciation de l’état de cessation des paiements. L’ancien article 25, AUPC, reprenant une définition classique du droit français, énonçait qu’est en cessation des paiements, le débiteur qui est dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Le nouvel acte uniforme est revenu sur cette notion, en consacrant une évolution jurisprudentielle entérinée par le législateur français depuis 2008. L’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 (JO 19 déc.), modifiant la loi de sauvegarde, complète, en effet, la définition de la cessation des paiements par la précision suivante : « Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements » (C. com., art. L. 631-1, al. 2). C’est cette formulation que reprend la réforme du droit OHADA. La cessation des paiements est, en effet, définie aux articles 1-3 et 25, alinéa 2, de l’AUPC, comme étant « l'état où le débiteur se trouve dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, à l'exclusion des situations où les réserves de crédit ou les délais de paiement dont le débiteur bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face à son passif exigible ». Il ne s’agit pas, en tant que tel, d’une remise en cause de la définition classique de la cessation des paiements, mais plutôt d’un assouplissement de la notion, afin d’augmenter les chances de sauvetage des entreprises.
 
En effet, la caractérisation de l’état de cessation des paiements requiert, comme auparavant, de faire la balance entre deux grandeurs, l’actif disponible et le passif exigible. C’est encore, comme par le passé, l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible qui est constitutive de la cessation des paiements. La seule nouveauté est que la non-réclamation d’une dette échue peut s’expliquer par la volonté du créancier d’accorder à son débiteur, qu’il connaît bien et dont il comprend peut-être la situation, un moratoire, un délai supplémentaire. Il serait dès lors injuste de ne pas permettre au débiteur de jouir de cette faveur. Un report d’échéance modifie, par conséquent, le contenu de ce passif exigible. Mais, il faudra que le débiteur apporte la preuve du report d’échéance, qui ne saurait être présumé, ni se déduire de l’absence de poursuites par le créancier. C’est dire que la passivité du créancier ne suffit pas pour permettre au débiteur d’échappement à un redressement judiciaire, ou de bénéficier d’un règlement préventif ou d’une conciliation.
 
En définitive, l’apport majeur de la réforme, semble la volonté d’encourager les chefs d’entreprises, de leur redonner confiance, surtout à l’égard des procédures préventives. On peut donc espérer que le nouveau droit, contrairement à l’ancien, apporte l’efficacité voulue et que les premières applications confirment ce souhait. 
Source : Actualités du droit