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Régulation économique et rétroactivité d’une décision de règlement des différends du CoRDIS

Public - Droit public des affaires
28/05/2019
Une décision adoptée par une autorité de règlement des différends peut-elle s’appliquer à l’ensemble de la période contractuelle à laquelle le litige se rapporte, peu important la date de son émergence entre les parties ?
L’avocat général de la Cour de Justice conclut que l’autorité de régulation peut appliquer rétroactivement une décision de règlement des différends. Cette compétence est compatible avec la directive “gaz” 2009/73/CE, la décision ne pouvant toutefois s’appliquer que sur la période couverte par cette directive, à savoir à compter du 3 mars 2011. 
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris – Dauphine


Ces conclusions sont afférentes au renvoi préjudiciel de la Cour de cassation, dans l’affaire GRDF c/ ENI, qui s’inscrit dans les contentieux français relatifs aux prestations réalisées par les fournisseurs pour le compte des distributeurs d’énergie dans le cadre du « contrat unique » et à la question de savoir si c’est au gestionnaire du réseau de distribution ou au fournisseur de gaz naturel de supporter la charge des factures impayées de clients finals dans le cadre d’un tel contrat.

Dans un contentieux similaire, le Conseil Constitutionnel, sur une QPC soulevée par ENGIE (1), a reconnu la conformité à la Constitution du mécanisme de validation visant à mettre fin au contentieux antérieurement engagé par des fournisseurs contre Enedis, le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité français. Les Sages ont considéré que le mécanisme de validation était justifié par un motif impérieux d’intérêt général au vu des enjeux financiers. Il existait en effet un risque de multiplication des recours contentieux contre Enedis et d’augmentation du tarif d’acheminement pour les usagers. 

Un pouvoir rétroactif : outil de l’efficacité des décisions du régulateur 

Pour affirmer qu’une décision de règlement des différends du CoRDIS peut s’appliquer de manière rétroactive, l’avocat général rappelle que la Cour de Justice a jugé (2) que, lorsqu’une voie de droit alternative est établie pour garantir un objectif déterminé –en l'espèce, celui de l’égalité de traitement–, il est contradictoire que les particuliers ne puissent invoquer pleinement le droit de l’Union devant ces autorités. Celles-ci doivent donc disposer de pouvoirs comparables aux juridictions nationales, permettant dès lors de respecter la primauté du droit de l’Union et l’effet utile des dispositions qui en découlent.

Ainsi, le CoRDIS, dont l’objectif est de répondre de manière efficace et rapide à des litiges sectoriels, apparait comme autorité comparable à celle en cause dans l’affaire précitée. Il doit donc disposer de pouvoirs aussi étendus que les juridictions, telle que la rétroactivité de ses décisions, afin d’offrir une voie de droit alternative viable.

L’avocat général conclut en ce sens, considérant que la mise à disposition du régulateur de pouvoirs analogues aux juridictions ordinaires est une condition nécessaire à l’efficacité de ces autorités. L’inverse réduirait l'intérêt de recourir à de telles autorités, contrevenant aux objectifs d’efficacité et de rapidité de résolution des litiges fixés par l’article 41 de la directive “gaz”.

Une portée temporelle limitée à la période couverte par la directive “gaz” 

L’avocat général précise que l’application d’une décision de règlement des différends du CoRDIS ne peut couvrir que la période couverte par la directive “gaz”, à savoir à compter du 3 mars 2011.

L’avocat général relève en effet que la question posée par le renvoi préjudiciel porte sur les pouvoirs de sanction accordés par l’article 41 de la directive 2009/73/CE au CoRDIS. Celui-ci dispose que les juridictions nationales et les autorités de régulation ont le pouvoir de prendre des mesures « efficaces, proportionnées et dissuasives » en vue de mettre en œuvre ladite directive. Il n’est pas contesté que le CoRDIS constitue une autorité de régulation. Ses décisions peuvent donc être appliquées à partir de la date limite du délai de transposition de la directive, soit le 3 mars 2011.

Pour déterminer néanmoins si l’article 41 peut être invoqué pour fonder le pouvoir du CoRDIS d’adopter des mesures prenant effet antérieurement au 3 mars 2011, l’avocat général conclut que la question est de savoir si le CoRDIS doit être considéré comme autorité de règlement des litiges en droit français au sens de la directive antérieure 2003/55/CE. Il renvoie le soin au juge français de trancher cette question.

Il reste à savoir si la Cour de Justice suivra les conclusions de son avocat général.


Michel FREY
Julien GIAMBRONE
 
(1) Cons. Const., 19 avr. 2019, n° 2019-776 QPC, Sté Engie
(2) CJUE, 4 déc. 2018, aff. C-378/17, Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Síochána
Source : Actualités du droit