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Reconnaissance d’une nouvelle responsabilité de l’État du fait de lois inconstitutionnelles

Public - Droit public général
27/12/2019
Par trois arrêts d’assemblée très attendus rendus le 24 décembre, le Conseil d’État déclare que la responsabilité de l’État peut être engagée pour réparer les préjudices résultant de lois contraires à la Constitution.
Le 24 décembre, le Conseil d'État a rendu trois arrêts d’assemblée très attendus (CE, ass., 24 déc. 2019, nos 428162, 425981 et 425983), ouvrant la possibilité d’engager la responsabilité de l’État pour les dommages résultant de lois contraires à la Constitution.
 
Les trois affaires qui lui étaient soumises concernaient l’absence de conformité à la constitution de l’article L. 442-9 du code du travail, relatif la participation des salariés aux résultats de l’entreprise publique. Cet article, qui prévoyait qu’un décret en Conseil d’État fixe une partie des modalités d’application, avait été déclaré contraire à la constitution par une décision du Conseil constitutionnel (Cons. const., QPC, 1er août 2013, n° 2013-336), en ce que le législateur avait méconnu l’étendue de sa compétence.
 
Responsabilité pour rupture de l’égalité devant les charges publiques
 
La Haute cour commence par rappeler une règle ancienne, à savoir que « la responsabilité de l’État du fait des lois est susceptible d’être engagée d’une part, sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l’adoption d’une loi à la condition que cette loi n’ait pas exclu toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés ».
 
Le Conseil d’État admet en effet depuis très longtemps (CE, ass., 14 janv. 1938, SA des produits laitiers La Fleurette) la responsabilité de l’État du fait des lois, mais il s’agissait d’une responsabilité sans faute, pour dommage anormal et spécial. En pareil cas, il revient au requérant d’établir le lien de causalité entre la loi et le préjudice. Le même principe a été transposé aux dommages résultant de conventions internationales par un arrêt d’assemblée de 1966 (CE, ass., 30 mars 1966, n° 50515, Compagnie générale radio-électrique).
 
Responsabilité pour faute
 
Mais dans ses trois arrêts du 24 décembre, c’est en dehors de la rupture de l’égalité devant les charges publiques que se place la Haute cour, annonçant que la responsabilité de l’État du fait des lois « peut également être engagée, d’autre part, en raison des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes, pour réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de l’application d’une loi méconnaissant la Constitution ou les engagements internationaux de la France ».
 
Pour rappel, le Conseil d’État avait admis en 2007 une responsabilité du fait des lois, cette fois-ci, non pas pour le préjudice anormal et spécial qu’elles peuvent causer, mais du fait de leur incompatibilité avec les engagements internationaux de la France. Par son arrêt d’assemblée (CE, ass., 8 févr. 2007, n° 279522, Gardedieu), le Conseil d’État, sans mentionner la notion de faute, avait déclaré « que la responsabilité de l'État du fait des lois est susceptible d'être engagée (…) en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France ».
 
Par le principe annoncé dans les trois arrêts d’assemblée rendus le 24 décembre 2019, le Conseil d'État vient transposer cette responsabilité aux lois contraires à la Constitution, toujours sans expressément mentionner la faute, mais en se référant cette fois aux « préjudices » pouvant être causés par la loi, et va donc plus loin que dans l’arrêt de 2007.
 
Responsabilité limitée aux lois déclarées inconstitutionnelles par le Conseil constitutionnel
 
La Haute cour apporte également des précisions sur l’application de cette nouvelle responsabilité. En effet, pour engager la responsabilité de l’État pour les préjudices résultant de lois inconstitutionnelles, la loi doit avoir été déclarée telle par le Conseil constitutionnel.

La Haute cour déclare ainsi qu’ « il résulte des dispositions des articles 61, 61-1 et 62 de la Constitution que la responsabilité de l’État n’est susceptible d’être engagée du fait d’une disposition législative contraire à la Constitution que si le Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition inconstitutionnelle » :
  • soit sur le fondement de l’article 61-1, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ;
  • soit sur le fondement de l’article 61, « à l’occasion de l’examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ».
 
Le Conseil d’État vient poser une condition à l’engagement de la responsabilité de l’État, qui est « que la décision du Conseil constitutionnel (…) ne s’y oppose pas, soit qu’elle l’exclue expressément, soit qu’elle laisse subsister tout ou partie des effets pécuniaires produits par la loi qu’une action indemnitaire équivaudrait à remettre en cause ».
 
Modalités d’engagement de la responsabilité de l'État
 
La Haute cour déclare également, rappelant une règle classique du droit de la responsabilité, que l’inconstitutionnalité ne suffit pas, mais qu’« il appartient à la victime d’établir la réalité de son préjudice et l’existence d’un lien de causalité entre l’inconstitutionnalité de la loi et ce préjudice ».
 
Enfin, limitant dans le temps la possibilité d’engagement de la responsabilité de l’État, le Conseil déclare : « la prescription quadriennale commence à courir dès lors que le préjudice qui résulte de l’application de la loi à sa situation peut être connu dans sa réalité et son étendue par la victime, sans qu’elle puisse être légitimement regardée comme ignorant l’existence de sa créance jusqu’à l’intervention de la déclaration d’inconstitutionnalité ».
 
Dans les trois affaires soumises à l’examen de la Haute cour, aucun lien de causalité entre l’inconstitutionnalité de la loi et les préjudices des requérants n’a été établi, conduisant à l’absence d’engagement de la responsabilité de l’État du fait de la loi.
Source : Actualités du droit