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Référé précontractuel : la Cour de cassation précise la compétence de l’Autorité de régulation des transports

Public - Droit public des affaires
10/02/2020
Lorsqu’elle saisit le juge du référé précontractuel d’un manquement du pouvoir adjudicateur aux règles de publicité et de mise en concurrence, l’Autorité de régulation des transports (ART) doit-elle apporter la preuve que ce manquement a lésé les intérêts des candidats ? Par un arrêt du 15 janvier 2020, la Cour de cassation répond par la négative en rappelant la mission fondamentale du régulateur : défendre l’ordre public économique.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine

Pour satisfaire ses besoins, la société concessionnaire d’autoroutes Autoroutes du Sud de la France (ASF) a mis en œuvre une procédure de passation d’un marché public ayant pour objet l’entretien des chaussées d’une section du domaine concédé.

L’ART saisit le président du TGI de Paris d’un référé précontractuel au motif que la méthode de notation adoptée par le pouvoir adjudicateur était de nature à priver de portée le critère technique ou à neutraliser la pondération des critères de notation annoncée aux candidats.

Le juge du référé précontractuel déboute l’Autorité.
 
Cette dernière forme un pourvoi en cassation en soutenant d’abord, que saisi de l’irrégularité de la méthode de notation d’une procédure de passation, le juge est tenu d’apprécier cette dernière au regard de son contenu et des effets qu’elle est susceptible de produire, et non au regard des seuls résultats effectifs que sa mise en œuvre a produits dans la procédure litigieuse.
Ensuite, l’Autorité soutient que le contentieux qu’elle introduit en l’espèce est de nature objective et que l’absence de lésion aux candidats démontrée n’est pas de nature à empêcher la recevabilité ou le prononcé du bien-fondé de son recours.

La Cour de cassation fait droit au pourvoi en rappelant que l’Autorité des transports est chargée de la protection de l’ordre public économique. Cet intérêt lui permet de veiller au respect des règles de concurrence dans les procédures d’appel d’offre.

La Cour tire les conséquences de son raisonnement et admet que l’Autorité agissant pour préserver ces intérêts, notamment par la voie du référé précontractuel, n’a pas à établir que le manquement qu’elle dénonce a directement ou indirectement, lésé les intérêts des candidats.

La Cour de cassation adopte donc la thèse de l’Autorité s’agissant de l’objectivité du recours qu’elle introduit. La fonction de l’Autorité de régulation qui est de protéger l’ordre public économique est suffisamment générale pour ne pas faire dépendre la recevabilité ou le bien-fondé du recours, de l’existence d’une lésion concrète infligée aux candidats à la passation. Il lui appartient donc d’agir quand elle identifie un manquement aux règles de concurrence, indépendamment de l’existence d’une lésion subie par un candidat.

Sur le second point, la cassation est ordonnée au motif qu’il appartient au juge de vérifier si objectivement la méthode de notation retenue n’était pas de nature à priver de portée le critère technique ou à neutraliser la pondération des critères de notation.

Enfin, la Cour de cassation précise la portée de sa décision en constatant que les lots litigieux ayant été conclus, il n’y a plus lieu à référé précontractuel. L’Autorité aura éventuellement la possibilité d’introduire un référé contractuel si l’action n’est pas forclose.

Il sera intéressant de regarder si saisi du même recours, le juge administratif appliquera le même raisonnement. En effet ici c'est le juge judiciaire qui s'est prononcé, le contrat de commande publique étant en l'espèce un contrat de droit privé. Toutefois la majeure partie des contrats de commande publique étant administratifs, il faudra surveiller l'appréciation du juge administratif. Il sera aussi intéressant de vérifier si le même recours exercé dans d'autres secteurs régulés (notamment le secteur ferroviaire) méritera un raisonnement identique de la part du juge.

Julien Rivet
Marisa Teixeira Pinto
Source : Actualités du droit