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Un salarié, lanceur d’alerte, ne peut bénéficier du statut de protection antérieur à la loi Sapin 2 sans faute pénale commise par l'employeur

Affaires - Pénal des affaires
Pénal - Droit pénal spécial
11/12/2020
Un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation, du 4 novembre 2020, confirme qu'un salarié ne peut bénéficier du statut du lanceur d'alerte, antérieur à la loi du 9 décembre 2016, si les faits commis par l’employeur ne sont pas qualifiables de délit ou de crime. La cour refuse, par cette décision, d’étendre cette protection au salarié licencié pour avoir fait un usage contesté de sa liberté d’expression.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine



La sollicitation du statut protecteur de lanceur d’alerte par un salarié licencié, sur le fondement de la violation de la liberté d’expression
 
Un consultant senior, détaché auprès de la société Renault, avait envoyé des courriels à caractère politique aux salariés et syndicats de cette société. Le 16 mars 2016, au cours d’un entretien, l’employeur Renault informait le salarié de sa connaissance de ces courriels, pendant que ce dernier, à l’insu de l’employeur, enregistrait la conversation avec son téléphone avant de la diffuser sur le site YouTube, quelques jours plus tard. Le 21 avril 2016, l’employeur le licenciait pour faute grave du fait de l’enregistrement sonore et de la diffusion de l’entretien du 16 mars.
 
Le salarié a contesté cette décision et obtenu en référé la cessation du trouble manifestement illicite résultant de la nullité du licenciement. Il soutenait en effet que ce dernier était intervenu en violation de la protection des lanceurs d’alerte, consacrée par la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin 2 (L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016, JO 10 déc.). 
 
Le 27 février 2018, la cour d’appel de Versailles confirmait la décision du juge des référés faisant droit à ses demandes en prononçant la nullité du licenciement, au motif que le salarié avait révélé des faits d’atteinte à la liberté d’expression dans le cadre d’échanges avec un syndicat. L’employeur s’est alors pourvu en cassation contre la décision d’appel.
 
La juridiction suprême rappelle l’état du droit antérieur, tiré du Code du travail. L’ancien article L. 1161-1 du Code du travail, désormais réformé par la loi Sapin 2, accordait une protection du salarié, contre des sanctions directes ou indirectes de l’employeur, de type licenciement ou de rémunération par exemple, lorsqu’il signalait de bonne foi des faits de corruption. 
 
Le salarié qui dénonçait de tels faits était alors protégé par le droit du travail, à condition que lesdits faits constituent une faute pénale, c'est-à-dire un crime ou un délit, dont il aurait eu connaissance pendant l’exercice de ses fonctions (C. trav., art. L. 1132-3-3).  
 
Une mise en œuvre du statut du lanceur d’alerte antérieur à la loi Sapin 2 conditionnée au témoignage de faits pouvant être constitutifs d’un délit ou d’un crime
 
En l’espèce, la Cour de cassation donne raison à l’employeur en cassant l’arrêt d’appel. Elle refuse l’application de la mise en œuvre de la protection des lanceurs d’alerte en rappelant, au visa de l’article L. 1132-3-3 du Code du travail, qu’il ne s’appliquait que si « le salarié avait relaté ou témoigné de faits susceptibles d’être constitutifs d’un délit ou d’un crime ».
 
En d’autres termes, un salarié ne peut bénéficier du statut de lanceur d’alerte antérieur à la loi du 9 décembre 2016 sans faute pénale commise par l’employeur. La chambre sociale conteste le raisonnement de la cour d’appel. Cette dernière a certes relevé que le salarié avait révélé des faits d’atteinte à la liberté d’expression et la libre communication dans le cadre d’échanges avec un syndicat, mais elle n’a pas caractérisé en quoi et si ces faits étaient qualifiés de délit et de crime. Pour justifier l’application du statut de lanceur d’alerte, la cour d’appel s’était contentée de constater que l’employeur remettait en cause « le droit pour le salarié à sa libre communication avec les syndicats de la société ». La Cour de cassation confirme ainsi une jurisprudence antérieure (Cass. soc., 30 juin 2016, n° 15-10.557, P+B+R+I ; lire Le licenciement d'un lanceur d'alerte est nul, Actualités du droit, 30 juin 2016 et La Cour de cassation s'empare des lanceurs d'alerte, Actualités du droit, 6 juill. 2016).
 
En l’espèce, les autres conditions nécessaires à la mise en œuvre du statut de lanceur d’alerte (précisées par l’article L. 1132-3-3 du Code du travail) étaient réunies puisque le salarié était de bonne foi et avait connaissance des propos de l’employeur dans l’exercice de ses fonctions.
 
Ainsi, la Cour de cassation encadre le statut du lanceur d’alerte en ne l’étendant pas aux faits passibles d’une contravention, comme en l’espèce, « la révélation des faits d’atteinte à la liberté d’expression dans le cadre d’échanges avec un syndicat […] intervenue par la voie de médias par internet ». À défaut de qualification précise des juges du fond, le salarié se verra refuser la protection de lanceur d’alerte, quand bien même il serait de bonne foi.
 
Par Paolina Bœuf et Jean-Baptiste Guarné
Source : Actualités du droit